157361DE VITRVVE.
Pleuſt à Dieu que Nature ſuyuãt la ſentence de ce Philoſophe,
les euſt faictes viſibles. Certainemẽt s’il eſtoit ainſi, lõ ne cõgnoi-
ſtroit ſás plus quelles louãges ou vituperes lõ peut dõner à iceux
hõmes, ains l’effect des ſciẽces des diſciplines eſtant ſubject à la
conſideration des yeux, ne ſeroit aucunemẽt approuué par juge-
ments depraués: car on bailleroit les autorités honnorables aux
vertueux & de bõ ſçauoir. Toutesfois, puis qu’il ne peut eſtre ſinõ
cõme il a pleu à ladicte Nature, de là vient que les gẽts ne peuuẽt
bõnemẽt juger quelles ſont les ſciẽces des artiſices cachees ſous
les poictrines cloſes: qui fait que les@ouuriers, encores qu’ils pro-
metrẽt de mõſtrer leur induſtrie, ne peuuẽt par ce moyẽ acquerir
aucun credit, ny donner à entẽdre qu’ils ſçachẽr ce dont ils font
profeſſion, s’ils ne ſont riches, ou congnus de longue main par a-
uoir cõtinuellemẽt exercé leurs practiques, ou biẽ s ils n’õt grace
de parler cõme Aduocats. De ce pouuõs nous prendre exẽple ſur
les Imagiers & Peintres anciens: car ceux d’entr’eux qui ont eu
renõmmee d’eſtre excellẽts, ſont & ſerõt à touſiours honnorés en
la memoire de la poſterité, comme Myron, Polyclete, Phidias, Li-
ſippe, & pluſieurs autres, leſquels ont acquis reputation par leur
art, à raiſon qu’ils ont eſté employés aux ſeruices de Republiques
fameuſes, de grãdsRois, ou autres perſonnages magniſiques, pour
qui ils ont faict les beaux ouurages. Mais à la verité il y en auoit
d’autres de leur temps meſme, qui n’eſtoyẽt de rien moins artiſtes
que ceux là, toutesfois ils n’ont ſceu paruenir à ceſte renommee,
pource qu’ils n’ont beſongné ſinon pour quelques gentilshom-
mes ou aucuns citoyens d’humble & modeſte fortune: ce neant-
moins leurs oeuures n’eſtoyẽt infericures à celles des tãt eſtimés.
Parquoy ne faut dire qu’ils ayent eſté deſgarnis de bon ſçauoir &
docte experience, mais ſeulemẽt abãdonnes de felicité humaine.
En ce nombre ſont Hellas d’Athenes, Chion de Corinthe, Mya-
gre de Phocee, Pharax d’Epheſe, Bedas de Byzãce, & aſſez de rels
Imagiers: & quãt aux Peintres, ne faut taire Ariſtomenes de Tha-
ſie, Polycles Atramitain, Nicomache, & innumerables, qui ont eſté
biẽ pourueus d’induſtrie, d’amour de leur art, & de practique ſuf-
fiſante. Ce nonobſtant, ou le peu de biens qu’ils auoyẽt, ou la ma-
lignité de fortune, ou la victoire de leurs emulateurs contendans
cõtr’eux par ambitiõ, ſe ſontoppoſees à leur gloire. A ceſte cauſe
je dy qu’il ne ſe faut eſbahir ſi les vertus des arts ſont obſcurcies
par ignorance: mais lon peut grandement deteſter la commu-
les euſt faictes viſibles. Certainemẽt s’il eſtoit ainſi, lõ ne cõgnoi-
ſtroit ſás plus quelles louãges ou vituperes lõ peut dõner à iceux
hõmes, ains l’effect des ſciẽces des diſciplines eſtant ſubject à la
conſideration des yeux, ne ſeroit aucunemẽt approuué par juge-
ments depraués: car on bailleroit les autorités honnorables aux
vertueux & de bõ ſçauoir. Toutesfois, puis qu’il ne peut eſtre ſinõ
cõme il a pleu à ladicte Nature, de là vient que les gẽts ne peuuẽt
bõnemẽt juger quelles ſont les ſciẽces des artiſices cachees ſous
les poictrines cloſes: qui fait que les@ouuriers, encores qu’ils pro-
metrẽt de mõſtrer leur induſtrie, ne peuuẽt par ce moyẽ acquerir
aucun credit, ny donner à entẽdre qu’ils ſçachẽr ce dont ils font
profeſſion, s’ils ne ſont riches, ou congnus de longue main par a-
uoir cõtinuellemẽt exercé leurs practiques, ou biẽ s ils n’õt grace
de parler cõme Aduocats. De ce pouuõs nous prendre exẽple ſur
les Imagiers & Peintres anciens: car ceux d’entr’eux qui ont eu
renõmmee d’eſtre excellẽts, ſont & ſerõt à touſiours honnorés en
la memoire de la poſterité, comme Myron, Polyclete, Phidias, Li-
ſippe, & pluſieurs autres, leſquels ont acquis reputation par leur
art, à raiſon qu’ils ont eſté employés aux ſeruices de Republiques
fameuſes, de grãdsRois, ou autres perſonnages magniſiques, pour
qui ils ont faict les beaux ouurages. Mais à la verité il y en auoit
d’autres de leur temps meſme, qui n’eſtoyẽt de rien moins artiſtes
que ceux là, toutesfois ils n’ont ſceu paruenir à ceſte renommee,
pource qu’ils n’ont beſongné ſinon pour quelques gentilshom-
mes ou aucuns citoyens d’humble & modeſte fortune: ce neant-
moins leurs oeuures n’eſtoyẽt infericures à celles des tãt eſtimés.
Parquoy ne faut dire qu’ils ayent eſté deſgarnis de bon ſçauoir &
docte experience, mais ſeulemẽt abãdonnes de felicité humaine.
En ce nombre ſont Hellas d’Athenes, Chion de Corinthe, Mya-
gre de Phocee, Pharax d’Epheſe, Bedas de Byzãce, & aſſez de rels
Imagiers: & quãt aux Peintres, ne faut taire Ariſtomenes de Tha-
ſie, Polycles Atramitain, Nicomache, & innumerables, qui ont eſté
biẽ pourueus d’induſtrie, d’amour de leur art, & de practique ſuf-
fiſante. Ce nonobſtant, ou le peu de biens qu’ils auoyẽt, ou la ma-
lignité de fortune, ou la victoire de leurs emulateurs contendans
cõtr’eux par ambitiõ, ſe ſontoppoſees à leur gloire. A ceſte cauſe
je dy qu’il ne ſe faut eſbahir ſi les vertus des arts ſont obſcurcies
par ignorance: mais lon peut grandement deteſter la commu-